Alors que les États-Unis redoublent d’efforts pour arracher un accord de paix entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda d’ici la fin juin, comme le rapporte RFI, le climat entre Kinshasa et Kigali reste tendu. Ce n’est plus uniquement sur les champs de bataille que se joue cette rivalité : trois fronts majeurs ont émergé.
Le premier est diplomatique, marqué par des médiations officielles. Le second est économique, centré sur les enjeux miniers stratégiques. Et le troisième, plus discret mais décisif, concerne la voix de certains membres de la communauté Banyamulenge, qui se fait entendre sur la scène internationale en opposition à l’AFC/M23 et à Kigali.
Diplomatie : l’ombre américaine plane sur les négociations
Le 3 avril dernier, un épisode marquant s’est déroulé à Kinshasa. Une délégation issue de la communauté Banyamulenge a rencontré Massad Boulos, conseiller Afrique du président américain. Cette réunion, passée presque inaperçue dans les médias congolais, a donné le ton d’une nouvelle offensive diplomatique. Direction ensuite Washington, où Enock Ruberangabo Sebineza, ancien député et vice-ministre congolais, accompagné de Jean Scohier Muhamiriza et Joseph Nzeyimana, est reçu au département d’État américain.
Leur message est clair et sans équivoque : dénonciation des discriminations, rejet des attaques contre leur communauté, affirmation de leur citoyenneté congolaise. Mais surtout, une rupture nette : opposition frontale à Kigali. Selon eux, le Rwanda ne peut plus prétendre défendre les Banyamulenge. De même, ils dénoncent l’instrumentalisation de leur identité par l’AFC/M23, et appellent à renforcer les institutions de la RDC.
Après les États-Unis, c’est en Europe que la délégation poursuit son plaidoyer. Cette semaine, elle est reçue au Quai d’Orsay à Paris, puis au ministère belge des Affaires étrangères. Des échanges ont également lieu avec plusieurs députés européens à Bruxelles et Strasbourg.
Le discours reste le même : refus de la mainmise de Kigali, reconnaissance des droits des Banyamulenge en tant que Congolais, et rejet de toute forme de tutelle extérieure, y compris celle de groupes armés. Une prise de position qui vise à reconfigurer l’image de cette communauté, souvent présentée dans l’opinion publique congolaise comme liée à Kigali.
Parallèlement à la bataille diplomatique, Kinshasa avance ses pions sur le terrain économique, en particulier dans le secteur minier. Le gouvernement congolais cherche à diversifier ses partenariats dans les provinces de l’Est, longtemps sous influence indirecte du Rwanda via des circuits informels de contrebande de minerais.
Des accords stratégiques avec la Chine, la Turquie, les Émirats et des entreprises américaines sont en négociation. L’objectif : court-circuiter les réseaux miniers soupçonnés de financer le M23 et priver Kigali de ses relais économiques dans les zones frontalières.
Mais cette nouvelle dynamique ne fait pas l’unanimité. Mercredi dernier, plusieurs associations de la diaspora Banyamulenge en Europe (Royaume-Uni, France, Norvège, Danemark, Suède et Belgique) ont publié une lettre ouverte cinglante. Dans ce texte, elles désavouent Sebineza, Muhamiriza et Nzeyimana, qu’elles accusent de parler sans mandat au nom de la communauté.
Selon elles, cette démarche n’est qu’une « campagne de désinformation » destinée à minimiser la réalité dramatique vécue par les Banyamulenge dans l’Est de la RDC. Ces associations appellent l’Union européenne à ne pas leur accorder de tribune et maintiennent leur soutien à des approches plus radicales, voire à des alliances avec l’AFC/M23.
Une guerre d’influence bien loin d’être terminée
Ce nouveau bras de fer, bien que silencieux, s’annonce déterminant pour l’avenir du processus de paix dans la région. Derrière les discours officiels et les réunions à huis clos, les rivalités s’aiguisent. À Kinshasa, on voit dans cette fracture au sein des Banyamulenge une opportunité de désolidariser une partie de cette communauté du narratif rwandais. À Kigali, c’est une mise en cause directe de sa légitimité régionale.
Pendant ce temps, les États-Unis tentent, tant bien que mal, d’amener les deux pays à la table des négociations. Mais la paix ne se joue pas qu’entre chefs d’État, elle se gagne aussi dans les esprits, les récits et les représentations.
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