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Conflit de pouvoir coutumier à Bukumu : Lebon Bakungu au trône, Butsitsi au palais royal, quel avenir pour le Nyiragongo ?

Conflit de pouvoir coutumier à Bukumu : Lebon Bakungu au trône, Butsitsi au palais royal, quel avenir pour le Nyiragongo ?

Le lundi 12 octobre, le mwami Lebon Bakungu a été pour une fois encore proclamé mwami légitime de la chefferie de Bukumu. Son installation immédiate réclamée par la société civile locale pourrait être l’épilogue d’un conflit qui aura duré un quart de siècle.

Le conflit de pouvoir coutumier à la chefferie de Bukumu prit en réalité sa forme actuelle à partir de la mort du Mwami Bakungu Bigaruka, lorsque son véhicule sauta sur une mine en 1995. C’est ce que révèle la récapitulation de faits que la commission consultative de règlement de conflit coutumier provincial (CCRCC) a fait le 12 octobre, à l’issue d’un sondage autour de trois (3) requérants du pouvoir de Bukumu.

On n’en est pas à une première consultation organisée sur le conflit de pouvoir coutumier de Bukumu. Devant la presse, à son époque, l’ancien gouverneur Julien Paluku Kahongya avait rappelé que tous les trois (3) derniers gouverneurs du Nord-Kivu avaient organisé des consultations sur le conflit de Bukumu, qui ont abouti à une même conclusion. Il s’opposait ainsi à l’installation de Jean-Bosco Butsitsi qui venait de disposer d’un arrêté ministériel le reconnaissant. Les trois (3) protagonistes, tous étant de la famille du premier mwami de Bukumu, Kahembe Kabukunda Paul, ont chacun raison de réclamer l’exercice du pouvoir de Bukumu, selon la sentence rendue par la CCRCC. Toutefois, les récentes enquêtes menées par celle-ci ont confirmé Bazima Bakungu Lebon Mwami légitime, suivant le principe d’accession au pouvoir de père au fils, à la tête de la chefferie et de la lignée originelle de Bigaruka.

Entre Bakungu Bigaruka et Butsitsi Bénoit qui fut réellement régent ou Mwami légitime?

Descendant du mwami Butsitsi Bénoit, Jean-Bosco Butsitsi a rejeté la sentence de la CCRCC, au lendemain de sa publication. À l’en croire, sa lignée le considère comme le Mwami ayant droit. L’un de ses arguments phares, c’est la malédiction que le Mwami Kahembe Kabukunda Paul aurait prononcée à son successeur direct, le mwami Bakungu Bigaruka D’emblée dont descend Bazima Bakungu Lebon, jusqu’à la quatrième génération, après qu’il l’aurait désavoué et déchu.

Dans le contexte de la rebellion de 1963, qui s’empare de Goma et Rutshuru également, le mwami Butsitsi Benoit sera installé mwami de la chefferie de Bukumu. Mais son pouvoir ne fera pas long feu, explique la CCRCC. Toutefois, l’héritage du règne du mwami Butsitsi Bénoit est disputé par Jean-Bosco Butsitsi et Isaac Butsitsi, ce qui fait, avec Bazima Bakungu Lebon, trois requérants autour du pouvoir coutumier de Bukumu. Jean-Bosco Butstsi accuse son frère Isaac Butsitsi de lui avoir volé la vedette en extorquant sa signature ainsi que celle des autres membres de leur famille pour se couronner chef de la chefferie de Bukumu.

Mais là ne réside pas le problème de la CCRCC. Elle s’attarde plutôt sur le mwami ayant droit. La malédiction avancée par la lignée Butsitsi pour expliquer que la lignée Bakungu Bigaruka n’a servi que de régent tout le temps qu’elle a régné est une thèse que la CCRCC ne pas prend en compte. Cette dernière laisse entendre que ce sont plutôt les Mwami de la lignée Butsitsi qui ont été des régents, et cela comme tous les autres régents car leur père Butsitsi Benoit avait été investi par une rebellion en 1963.

L’autre élément de l’argumentaire de la CCRCC pour justifier la légitimité de Lebon Bakungu Bazima, c’est la non-opposition du mwami Kahembe Kabukunda Paul à la réinstallation de son successeur direct (le Mwami Bigaruka D’emblée supposé maudit) par la décision N°08/63 du 22 juillet 1963, de l’administrateur spécial de Rutshuru.

Mardi 13 octobre, Jean-Bosco Butsitsi convoque la presse et réaffirme sa légitimité au pouvoir coutumier de Bukumu. Il accuse la CCRCC d’avoir été corrompue pour présenter Lebon Bazima Bakungu comme Mwami légitime. Jean-Bosco Butsitsi appelle le président de la république à s’investir personnellement dans le dossier pour le remettre dans ses droits. Il dénonce :’’ C’est une rébellion qu’ils créent. Où avez-vous vu des gens se rebeller à un arrêt de la justice ? Ce n’est jamais arrivé ! Mais ce qu’ils (CCRCC) ont fait, c’est la rébellion. On doit suspendre leur commission-là. Ce sont des rebelles. Et je crois que les autorités ne seront pas d’accord avec leur sentence. Personne ne pourra mettre son nez dans mon bureau aussi longtemps que je serai vivant. Je ne suis pas un roi fainéant, je suis toujours en forme, je n’ai pas encore vieilli et puis je suis dans la droiture suivant notre pouvoir coutumier de Bukumu. Le gouvernement central doit prendre des mesures contre ces politiciens’’.

Le pouvoir politique provincial dans le conflit de Bukumu

Malgré ses rapports du ministère de l’intérieur qui l’ont confirmé à trois reprises selon lui, ses arrêtés et ses jugements favorables à son installation à la tête de la chefferie de Bukumu, le mwami Jean-Bosco Butsitsi se retrouve encore en dehors du trône qu’il a quitté le 29 mars 2016, à la suite d’une suspension qu’il juge politique et tribale.

Ses démarches pour être réinstallé n’ont pas abouti. Vers la fin de son règne sur le Nord-Kivu, armé des rapports des consultations de ses deux prédécesseurs, Julien Paluku Kahongya déclare publiquement qu’il n’installera jamais le Mwami Jean-Bosco Butsitsi de peur de falsifier l’histoire qui établit la légitimité de Lebon Bazima Bakungu comme l’ayant-droit du pouvoir coutumier de la chefferie de Bukumu. ’’Si je falsifie l’histoire, il peut y avoir du sang qui peut couler et je vais porter moi la responsabilité de ce sang. Je n’aime pas avoir sur mon dos ce genre de choses’’, avait expliqué l’ancien gouverneur.

Cette position de Kahongya laisse moins espérer l’installation du Mwami Jean-Bosco Butsitsi par l’actuel exécutif provincial. Ce gouvernement a été défendu par l’assemblée provinciale du Nord-Kivu dont le président a dénoncé, dans son discours d’ouverture de la session de septembre 2020, l’ingérence dangereuse du pouvoir central dans les travaux de la CCRCC. ‘’Nous apprenons que le ministre délégué aux affaires coutumières aurait museler la dite commission (CCRCC), lui interdisant de publier officiellement les résultats du sondage en violation de la loi organique et du règlement intérieur en son article 29 qui stipule que la sentence est prononcée publiquement par le président (de la CCRCC) en présence de toutes les parties en conflit. Face à cette attitude, l’assemblée provinciale condamne énergiquement pareil comportement et prend à témoin la population du Nord-Kivu et rend le pouvoir central responsable le pouvoir central de tout ce qui pourrait résulter de toute tentative de falsification de la désignation opérée par le pouvoir coutumier de la chefferie de Bukumu car notre province n’a que trop souffert de la politisation du pouvoir coutumier’’, avait fait observer le président de l’assemblée provinciale. L’institution législative souhaitait que le gouvernement national laisse au gouvernement provincial la responsabilité qui lui incombe de trouver une issue au conflit du pouvoir coutumier de Bukumu.

En conclusion de sa sentence confirmant le mwami Lebon Bazima Bakungu comme le mwami légitime de la chefferie de Bukumu, le lundi 12 octobre, la CCRCC a recommandé au gouverneur de province l’installation immédiate. Outre les données de l’histoire, elle s’est fondée sur l’arrêté ministériel de reconnaissance de Lebon Bazima Bakungu, N°025/CAB/VPM/MININTERSEC/ERS/037/2018 du 19 février 2018, portant reconnaissance d’un chef de chefferie dans le territoire de Nyiragongo, au Nord-Kivu.

La population de Nyiragongo, grande victime du conflit coutumier de Bukumu

Les problèmes sont de tous ordre. L’eau potable manque chroniquement à Nyiragongo de sorte qu’à la mi- 2020, lors de l’inauguration du premier robinet à Ngangi, village situé à la limite entre le Nyiragongo et la ville de Goma, dans le cadre du projet d’adduction d’eau de Mercy-Corps à Goma, le Mwami intérimaire Tushi Bitwayiki Bienvenu a relevé cette situation jusqu’ici sans issue: ‘’Depuis que le territoire de Nyiragongo a été créé, nous n’avons pas d’eau courante…et il n’y a pas de cours d’eau’’. À côté de l’absence de l’eau, l’insécurité caractérisée par des meurtres, des kidnappings, des enlèvements et des cambriolages, a amplement émergé dans ce territoire du Nord-Kivu pourtant sans groupe armé.

L’Ong locale de droits de l’homme ACADEPA Zaburi 133 évalue à 3 kidnappings par semaine et souvent les rançons vont chercher dans les milliers de dollars, pour une population démunie. Les infrastructures de base soit n’existent pas soit sont en état de délabrement avancées. Toutes ces tristes réalités font de Nyiragongo le plus pauvre territoire de la province malgré sa proximité avec le chef-lieu, Goma, cette grande ville qui grouille d’affaires, fait souvent remarquer la société civile locale. Celle-ci a toujours affiché publiquement son soutien au mwami Lebon Bazima Bakungu. ‘’Le vrai chef de la chefferie de Bukumu a été coopté député provincial par l’assemblée provinciale du Nord-Kivu’’, nous a dit Mambo Kawaya, son président.

Des mouvements sociaux de revendication des droits des citoyens de Nyiragongo à la paix, la sécurité et le développement ont été organisés sans effet. Pour Jean-Etienne Bosenibamwe, secrétaire exécutif d’ACADEPA Zaburi 133, il sera difficile d’envisager des solutions aux problèmes de Nyiragongo aussi longtemps que le pouvoir coutumier ne fonctionnera pas normalement, avec à sa tête le mwami légitime.

L’activiste de la société civile est conforté par les aspirations exprimées dans la foule des femmes, jeunes, enfants et hommes qui sont en liesse dans les rues de Nyiragongo, à l’annonce de Lebon Bazima Bakungu comme l’ayant-droit du pouvoir coutumier, le 12 octobre. ‘’Le conflit était perpétué au niveau communautaire en raison de l’absence du chef coutumier légitime. Un chef de groupement ou de village pouvait vendre un champ à trois différentes personnes. La faute c’était aux chefs usurpateurs du pouvoir coutumier. Je crois que l’ayant-droit qui arrive ne peut pas agir de cette manière’’, affirme Philippe.

‘’L’absence du mwami légitime a fait que nos cultures ne croissaient pas normalement et l’insécurité s’était répandue un peu partout. Nous sommes convaincus que tout ira désormais bien comme il revient. Nous remercions le gouverneur, le président de la république et l’Assemblée provinciale, se réjouit Francine. Elle poursuit en souhaitant que le nouveau mwami apporte du développement et se batte pour l’intégration de la femme.

Mukemume maman Maitresse, qui se présente comme le premier comédien du territoire de Nyiragongo déplore :’’Le fait qu’il ne soit pas là, nous a bloqué pendant longtemps. Nos plaidoyers pour que les autorités nous assistent dans nos activités avaient du mal à parvenir au plus haut niveau. Nous espérons aller loin avec son retour au trône de Bukumu ’’.

Une semaine après la confirmation de Lebon Bazima Bakungu par la CCRCC, son installation se fait attendre. Plus d’un observateur à Goma doute que cette cérémonie ait lieu dans les prochains jours. Le doute serait même dans le camp des autorités elles-mêmes. En effet, ce n’est pas la première fois que le mwami Lebon Bazima Bakungu apporte un document qui l’atteste mwami légitime, mais son installation n’a pas souvent suivi. Wait and see, disent les anglais.

Frédéric Feruzi

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