Dans les quartiers Letroc et Kasabinyole, plusieurs jeunes autrefois vendeurs informels, employés de Mobile Money, acteurs du petit commerce sont désormais affiliés au circuit financier des groupes islamistes armés ADF/ISCAP/MTM.
Certains affirment y être entrés volontairement, d’autres disent avoir été dupés par des proches recrutant dans l’ombre.
Selon un rapport de l’ONU, cité par le journaliste d’investigation et fact‑checker Fiston Mahamba, « le stratagème consiste à leur fournir du cash, du virtuel voire de la marchandise brute (essence, mdonateurs ou revendeurs en détail. En retour, ils reçoivent une commission. »
Parmi ces jeunes, un ancien revendeur de téléphones et une opératrice de restaurant près du rond‑point Letroc figurent parmi ceux présentés par le groupe d’experts de l’ONU comme des cerveaux moteurs de l’attentat à la bombe artisanale visant le bar Nganda Maison chez Werrason, au camp Katindo de Goma. Ces deux individus se nomment Senga Amani Yusuf Danial et Masika Riziki selon les documents des experts.
L’attentat du camp Katindo et le rôle des intermédiaires
Pour remettre en contexte, l’attentat commis au camp Katindo, dans la ville de Goma, aurait été planifié et exécuté par les islamistes radicaux de l’ADF depuis leur maquis à Beni, sous la coordination de Meddie Nkalubo alias « Punisher », un Ougandais expert en fabrication d’engins explosifs improvisés.
Les collaborateurs désignés, Masika et Yusuf, auraient expliqué aux experts de l’ONU qu’une femme kamikaze a voyagé depuis le camp ADF de Mamove (près de Oïcha) jusqu’à Goma, puis passé une nuit dans la maison de Masika et Yusuf.
Durant ce séjour, elle aurait reçu des instructions en appel vidéo de Meddie Nkalubo sur le port et l’activation du gilet explosif. Cette kamikaze est de nationalité tanzanienne.
« Il y avait aussi un fil rouge et un fil noir que la femme aurait connectés à une petite boîte, qui a ensuite allumé une ampoule. Après ce test chez Masika et Yusuf, Hassan et Yusuf ont amené la femme à moto au camp Katindo, où elle a activé le gilet, qui était dans un sac », relatent les accusés.
« Selon Masika et Yusuf, le gilet suicide a été fabriqué dans le camp ADF, apparemment par Meddie Nkalubo, et transporté à Goma dans un sac sur une moto par Hassan. »
Les liens entre l’attaque de Katindo/Goma et l’attaque au bar INBOX à Beni sont évoqués dans le rapport comme très similaires.
Profil des accusés : Masika Riziki et Senga Amani Yusuf Danial
Masika Riziki, alias Hadjidja ou Hummu/Umma Zumda, est congolaise originaire de Beni. Elle était mariée auparavant à Rachid Senga Kalled, alias Isaaq ou Isiaka, ancien recruteur important pour les ADF. Arrêté en 2018 pour son rôle dans le recrutement et la gestion de transit des recrues de l’ADF, il est considéré comme l’un des maillons logistiques du groupe. Sous les instructions de Meddie Nkalubo, Masika aurait loué une maison à Goma pour héberger les nouvelles recrues ADF lors de leur transit vers les camps.
Elle se serait également retrouvée en contact direct avec Meddie Nkalubo et des recruteurs du Burundi, d’Afrique du Sud et du Sud-Kivu. Elle aurait reçu des transferts Airtel Money pour acheter du matériel informatique et des fournitures destinées aux recrues.
Senga Amani Yusuf Danial, quant à lui, était revendeur de téléphones mobiles autour de l’espace Letroc à Beni. Recruté en 2021 par un individu nommé « Issa » (probablement Issa Mando, connu parmi les rangs des ADF comme kamikaze de l’attentat du bar INBOX) il aurait ensuite été acheminé vers le camp ADF de Mamove. Devenu proche collaborateur de Musa Baluku (le leader présumé des ADF), il aurait été renvoyé à Beni pour collecter de l’argent, puis le transférer aux bénéficiaires congolais et étrangers via Airtel Money. Les experts affirment que Meddie Nkalubo et Hassan lui auraient remis des sommes importantes.
À Goma, Yusuf était présent au moment où la kamikaze, de nationalité tanzanienne, recevait des instructions. Selon l’accusation, le gilet lui-même avait été préparé dans le camp ADF, puis transporté à Goma.
Masika aurait déclaré qu’après l’attaque du camp Katindo, Hassan lui aurait payé une partie pour sa participation à la planification de l’attentat au bar Maison Mère chez Werrason.
Impacts et enjeux sécuritaires
Le rapport de l’ONU dépeint un système sophistiqué : un réseau de personnes de confiance, recrutées parfois sous couvert de micro‑activités commerciales, qui servent de maillons dans la chaîne financière des groupes armés.
Dans les zones urbaines comme Beni, Letroc ou Kasabinyole, ce genre d’intégration permet aux groupes de disséminer leurs opérations avec une couverture apparente de commerce ordinaire.
Si l’accusation portée devant les instances nationales ou internationales est confirmée, ces jeunes pourraient être assimilés à des collaborateurs logistiques d’une organisation terroriste. Le défi sera désormais judiciaire : prouver la connaissance consciente des actes, la participation active et la hiérarchie des ordres reçus.
Enfin, cet exemple démontre la complexité de la lutte contre les groupes armés dans l’Est de la RDC : au-delà des combats militaires, c’est un combat des idées, des réseaux, des finances.
Comprendre les maillons faibles travailleurs informels, relais sociaux pourrait être la clé d’un contre‑terrorisme efficace.
La rédaction










