Crise institutionnelle au Nord-Kivu : l’Assemblée provinciale bloquée, les élus marginalisés, le gouvernorat à bout de souffle

Alors que le Nord-Kivu traverse une crise sécuritaire sans précédent, une autre menace plus silencieuse mais tout aussi destructrice ronge les fondements institutionnels de la province : le blocage total de l’Assemblée provinciale depuis septembre 2024. Un vide politique qui fragilise davantage une région déjà meurtrie par la guerre, la pauvreté et l’isolement administratif.

En 2023, en pleine période d’état de siège, le Gouvernement congolais avait pourtant fait preuve de volontarisme en organisant les élections législatives dans la province du Nord-Kivu. Sur les six territoires que compte la province, les scrutins ont été organisés dans quatre d’entre eux. Quant aux deux territoires restants, restés inaccessibles pour des raisons de sécurité, la CENI y a reconduit les députés de la législature 2018 afin d’assurer le bon fonctionnement institutionnel.

« En 2023, en pleine période d’état de siège, le Gouvernement de la République a organisé les élections législatives dans la province du Nord-Kivu. Ces scrutins se sont tenus dans quatre territoires sur les six que compte la province. Pour les deux territoires restants, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a reconduit les députés de la législature 2018, garantissant ainsi un quorum complet pour les Assemblées provinciale et nationale », a déclaré Jean-Paul Waitswalo, notable de la province.

Ces élections ont respecté toutes les étapes légales :

* Les députés nationaux et provinciaux ont été élus ou reconduits dans la transparence ;
* Les recours ont été examinés par la Cour constitutionnelle ;
* Tous les élus ont été validés officiellement ;
* Et les députés provinciaux ont même voté pour élire les sénateurs.

Mais malgré cette régularité du processus électoral, une décision politique a tout fait basculer. À la rentrée parlementaire de septembre 2024, l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu a été interdite de siéger, officiellement en raison de l’état de siège toujours en vigueur. Depuis, c’est le silence institutionnel.

« Malgré cela, à l’ouverture de la session parlementaire de septembre 2024, l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu a été interdite de siéger, en raison de l’état de siège. », déplore encore Jean-Paul Waitswalo.

Une décision qui scandalise jusque dans les rangs des députés concernés. Car pendant ce temps :

1. Les députés nationaux issus du Nord-Kivu siègent à Kinshasa sans entrave,
2. Les sénateurs élus par les députés provinciaux travaillent au Sénat,
3. Et les 48 députés provinciaux de la province, eux, sont réduits au silence.

« Ce blocage soulève une profonde incompréhension et une injustice flagrante : les députés nationaux élus dans les mêmes conditions siègent normalement à Kinshasa, les sénateurs élus par ces députés provinciaux légifèrent pleinement au Sénat, et pendant ce temps, les 48 députés provinciaux du Nord-Kivu sont empêchés d’exercer leur mandat », dénonce le notable.

Le plus choquant reste la situation humaine de ces élus. Nombre d’entre eux, anciens agents publics, ont été mis en disponibilité pour assumer leur mandat. Aujourd’hui :
1. Ils ne peuvent pas siéger;
2. Ils ne perçoivent aucune rémunération;
3. Et ils ne peuvent pas réintégrer leurs postes d’origine, leur mandat étant toujours en vigueur.

« Certains d’entre eux, anciens fonctionnaires, ont été mis en disponibilité pour assumer ce mandat. Aujourd’hui, ils ne perçoivent aucun salaire, ils ne peuvent pas siéger, et ils ne peuvent pas réintégrer leur emploi d’origine, leur mandat étant toujours en cours de validité », a ajouté Jean-Paul Waitswalo.

Un statut hybride, juridiquement flou, qui les prive de tout droit et toute reconnaissance.

« Cette situation injuste et incohérente dont deux poids, deux mesures ne peut perdurer. Ces élus ont des familles, des responsabilités et des charges sociales, mais ils sont laissés sans occupation, ni reconnaissance de leur rôle », s’insurge-t-il.

En parallèle, le Gouvernorat du Nord-Kivu, placé sous autorité militaire dans le cadre de l’état de siège, se retrouve seul face à une série de crises : l’avancée du M23, l’explosion humanitaire, les déplacements de population, la baisse des recettes publiques, l’insécurité permanente…

Privé de toute Assemblée provinciale, il ne peut ni rendre compte de sa gestion ni bénéficier d’un appui politique local.

« En parallèle, le Gouvernorat du Nord-Kivu, placé sous autorité militaire, subit une pression croissante. Privé d’un encadrement parlementaire et de relais institutionnels, il fait face à d’énormes défis sécuritaires, humanitaires et socio-économiques sans soutien législatif », résume le notable.

Face à ce chaos institutionnel, Jean-Paul Waitswalo et plusieurs leaders de la société civile formulent deux demandes urgentes à l’endroit du Gouvernement central :

1. Le rétablissement immédiat du fonctionnement de l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu pour permettre aux députés élus d’exercer leur mandat ;
2. Un doublement exceptionnel de la quote-part de la caisse nationale de péréquation, afin de compenser la perte des recettes locales dans les territoires sous occupation armée (notamment par le M23), et soutenir les efforts du Gouvernorat.

« En conséquence, deux demandes urgentes sont adressées au Gouvernement :
1. Rétablir le fonctionnement de l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu, afin que les députés élus exercent pleinement leur mandat constitutionnel.
2. Accorder, de manière exceptionnelle, un doublement de la quote-part de la caisse nationale de péréquation allouée à la province du Nord-Kivu car la province est privée de beaucoup de ses recettes locales dans les zones occupées par le M23, cette subvention servira à renforcer les capacités du Gouvernorat à faire face aux besoins quotidiens des populations, et assurer une équité budgétaire et institutionnelle dans une province stratégique, marquée par la guerre et le sacrifice »insiste Jean-Paul Waitswalo.

Une demande qui s’ancre dans le cadre légal et constitutionnel de la République, notamment à travers l’article 181 de la Constitution, qui prévoit un mécanisme de péréquation pour corriger les inégalités entre les provinces.

« Le Nord-Kivu ne doit pas payer le prix d’un dysfonctionnement institutionnel qu’il n’a pas choisi. Le Gouvernement est invité à agir, avec justice, responsabilité et urgence », conclut Jean-Paul Waitswalo.

Rédaction