Nord-Kivu : les difficultés d’accès à l’eau potable soulignent l’inefficacité de l’État à la frontière de Kasindi

(Billet de PAUL ZAÏDI)

Comme se soigner ou se nourrir, accéder à l’eau est un droit fondamental. L’eau, en tant qu’élément vital, est essentielle au bien-être de chaque individu. À Kasindi, la rareté de l’eau potable ne résulte pas de son indisponibilité naturelle, mais de l’irresponsabilité de ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir public. En abandonnant à leur sort les initiatives de partenariat public-privé, ils négligent les solutions pourtant évidentes comme l’élargissement du système d’adduction d’eau potable.



De nombreuses zones d’ombre persistent dans les circuits censés améliorer le réseau d’eau potable à Kasindi, malgré les efforts des organisations non gouvernementales (ONG) et des associations sans but lucratif (ASBL).

Un rythme désastreux

Face à l’évaluation de l’offre et de la demande en eau potable, l’entité de Kasindi-Lubiriha est largement déficitaire. Cette situation accroît le risque de résurgence des maladies hydriques, comme ce fut le cas il y a plus de six ans.

Seaux, bidons, cuvettes et bouteilles en plastique s’alignent chaque jour devant les bornes-fontaines. Les femmes et les jeunes filles doivent se lever dès 4 heures du matin pour espérer puiser entre 40 et 60 litres d’eau.

Un débrouillardisme dangereux

Ce tableau illustre à lui seul le drame quotidien vécu dans ce coin économiquement stratégique du secteur de Ruwenzori, territoire de Beni. Pour compenser les limites du réseau de distribution, les coupures récurrentes et la sécheresse, certains habitants creusent des puits domestiques ou dans les hôtels, souvent sans respect des normes sanitaires, mettant ainsi en danger la santé publique.

Une filière informelle de distribution d’eau s’est développée. Les plus démunis puisent l’eau de la rivière Lubiriha pour tous leurs usages : lessive, vaisselle, cuisson, bain, voire même pour les baptêmes dans les églises.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres

Pour les anciens tolekistes – ces hommes utilisant chariots, triporteurs, pousse-pousse ou vélos pour livrer de l’eau à domicile  cette crise représente une opportunité. La rareté de l’eau a favorisé la spéculation : un bidon de 20 litres se vend désormais à 1000 FC, alors que le tarif officiel de l’ACOEP/Kasindi-Lubiriha est d’environ 200 FC.

Par ailleurs, les sachets d’eau produits localement coûtent 400 FC, tandis que l’eau en bouteille, produite à Beni, Butembo ou importée, se vend entre 1000 FC (petit format) et 2000 FC (grand format).

Incohérences dans l’action gouvernementale

Au niveau du gouvernement central, les annonces d’investissements dans les zones rurales sont nombreuses, mais les réalisations se font rares, voire invisibles. L’approvisionnement en eau potable pour les habitants de Kasindi-Lubiriha reste exclu des priorités, malgré l’explosion démographique due à l’afflux de déplacés fuyant les zones occupées par le mouvement AFC-M23.

Quelles que soient les priorités du gouvernement – efforts de guerre ou objectifs fiscaux – l’accès à l’eau potable est une urgence sanitaire et une condition essentielle de survie.

Le désir du peuple

Les Congolais de l’Est veulent de l’eau, tout simplement. Une eau potable pour leurs besoins quotidiens, pour préserver leur hygiène, leur santé, leur dignité. Ce besoin ne devrait pas être un luxe dans un pays aussi riche en ressources.

Les factures d’eau, émises par l’Association des Consommateurs d’Eau Potable de Kasindi-Lubiriha (ACOEP/KL), restent symboliques, insuffisantes pour couvrir les frais de production, de maintenance, de personnel et d’extension du réseau. Sans cette structure, de nombreuses vies auraient été perdues dans le groupement Basongora.



Des zones floues persistantes

Chaque année, des budgets sont alloués à Kinshasa pour améliorer l’accès à l’eau. Il est scandaleux que des montants aussi considérables soient affectés au ministère en charge sans qu’aucune amélioration tangible ne soit observée. L’ACOEP/Kasindi-Lubiriha ne bénéficie d’aucun appui, ni technique, ni financier.

L’accès universel et constant à l’eau potable est un droit. Le priver à une population est une atteinte grave aux droits humains. Le silence des élus du territoire de Beni face à cette situation n’est en rien honorable.

Cette gestion chaotique du service public de l’eau, profitant à une minorité, nourrit à juste titre les soupçons et la colère du peuple congolais.

PAUL ZAÏDI