Sans Talion: « On doit comprendre que le sang appelle le sang, le feu appelle le feu, la violence appelle la violence »(Patrick Bassham)

Posted on

La souffrance que traverse la population de l’Est de la RDC suite à l’insécurité grandissante ne laisse pas indifférents les jeunes engagés de la province du Nord-Kivu. Plusieurs parmis eux utilisent différents canaux pour dénoncer cette situation et porter haut la voix des victimes.

C’est le cas de Patrick Bassham, un jeune artiste de Goma qui a choisi la poésie, le chant et le slam pour parler de la souffrance qu’endure les habitants du Nord-Kivu, particulièrement ceux de Beni, victimes de massacres depuis 2014. Dans son recent poème intitulé « Sans Talion », il parle d’une personne qui a tout perdu, dont on a massacré toute la famille, et un jour elle se retrouve face à face avec le bourreau, avec celui qui lui a ravi les êtres auxquels elle tenait tant.

Voici l’intégralité de l’interview qu’il nous a accordée.


LVN : « Sans Talion », pourquoi ce titre?

PB : Sans Talion, s’inspire d’abord de cette vague expression, la Loi du Talion, le ‘’œil pour œil, dent pour dent’’, qui est une expression d’appel à la violence, d’appel à la vengeance. Nous vivons dans une société où les gens ont des blessures intérieures, où des gens ont creusé des peines au fond d’eux, à causes des violences à répétitions que nous avons subies, les villes comme de Beni, où nuit et jour on entend des massacres.
Dans ce texte, qui a paru dans le recueil ‘’Au-delà de nos murs de vengeance’’ de Badilik’Art, j’essaie justement de lancer un appel au pardon, un appel à la tolérance, un appel à la réconciliation. J’essaie de démontrer combien c’est possible de vivre avec les gens qui, dans le passé nous ont causé du tort. Combien c’est possible de pardonner et non de se venger.

LVN : De quoi s’agit-il dans ‘’Sans Talion’’?

PB : Dans ce poème, il s’agit d’une personne qui a tout perdu, dont on a massacré toute la famille, et un jour elle se retrouve face à face avec le bourreau, avec celui qui lui a ravi les êtres auxquels elle tenait tant. Le narrateur dans ce poème lui montre combien elle a toutes les raisons de se venger en le tuant, en tuant ses fils ainsi que toute sa progéniture. Sauf qu’il le ramène à réfléchir, à se demander si se venger contre lui ramènerait les personnes chères perdues. A la fin il lui démontre, qu’au moment où tout le monde s’attend à une vengeance de sa part, il peut faire exception en lui pardonnant car le poème dit ‘’qui pardonne, venge deux fois’’
Je dénonce aussi le silence ignoble et complice des autorités, de la communauté internationale face à toutes les atrocités perpétrées chez nous. Nous apprenons tous les jours que certains acteurs seraient impliqués, certains acteurs dans certaines institutions de l’Etat financeraient les groupes armés chez nous. Je me suis dit que nous en avons assez, qu’il est temps de tous les dénoncer.

LVN : Qu’est-ce qui vous motive de parler de cette tragédie maintenant ?

PB : La question est légitime. C’est vrai c’est un texte que j’ai écrit avant et que j’ai enregistré y a presque deux ans. Je me suis dit en effet qu’il était temps. Le temps de parler tout haut ce que les autres parlent tout bas. Nous sommes actuellement en pleine guerre contre les rebelles du M23. Alors qu’on vient d’entrer dans un nouveau gouvernement et nous nous préparons aux élections, il est vraiment primordial d’inviter les autorités à prendre la question de l’insécurité à l’EST avec beaucoup de sérieux.

LVN : Pourquoi choisir la poésie et le Slam pour passer le message?


PB : Parce que la poésie inonde les cœurs, la poésie asperge les âmes, c’est la voie que j’ai choisie, la voie par laquelle le message passerait mieux. Je parle mieux poésie, surtout quand elle est chantée. On a essayé tous les autres moyens, j’essaie d’inviter les autres poètes à faire comme moi. A comprendre qu’en tant qu’artiste, nous avons une responsabilité sociale. Et la nôtre, les lanternes sont au rouge maintenant. Il faut maintenant s’impliquer …

LVN : D’après vous, qu’est-ce qui peut être fait pour mettre fin à cette tragédie ?

PB : Il faut d’abord que l’Etat prenne ses responsabilités. Qu’il arrête de pleurnicher. On nous a imposé une guerre qui n’est pas la nôtre. Notre pays a été pris comme un champs de bataille entre des pays étrangers. Regardez par exemple, la guerre de six jours à Kisangani en 2000, ces violents combats qui ont opposé les armées rwandaises et ougandaises… et aujourd’hui des puissantes étrangères qui financent des rebellions pour nous imposer une guerre qui nous déstabilise.
En deuxième lieu, lorsque nous aurons gagné cette guerre, l’Etat devra organiser des dialogues, l’Etat devrait être le premier médiateur en faveur des communautés en conflits. Nous en connaissons plusieurs qui sont devenus ennemis sur base des préjugés, des stéréotypes. Cette responsabilité ne devrait pas revenir à des ONG mais plutôt à l’Etat.
Enfin, c’est un appel à la tolérance et au pardon à tout le monde. Nous vivons dans une société démoralisée, traumatisée. On doit comprendre que le sang appelle le sang, le feu appelle le feu, la violence appelle la violence. Essayons un peu de voir les choses d’une manière différente. D’offrir une fleur à celui qui nous a fusillé…
Peut-être est-ce le seul geste qui nous manque pour enfin baiser notre essor …

La rédaction

  • Share

0 Comments

Leave a comment