La justice transitionnelle revient de plus en plus dans l’opinion depuis que le prix Nobel congolais de la paix, Denis Mukwege, en a fait son principal sujet de plaidoyer. Mais que comprendre de ce concept auquel recourent actuellement personnalités politiques et activistes de la société civile ? La justice transitionnelle peut-elle offrir une issue définitive à l’insécurité endémique dans l’Est de la RDC ? Experts et activistes s’expriment.
Alors que le comité Nobel lui remettait le prix Nobel de la paix de 2018, le docteur Denis Mukwege, gynécologue congolais de renom, surnommé ‘l’homme qui répare les femmes’, prononce un discours magistral. Il y fait notamment observer que le problème de paix et de sécurité dans l’Est de la RDC ne sera réparé qu’à l’issue d’un processus judiciaire visant les auteurs de crimes graves que documente le rapport Mapping de l’Onu.
Depuis, son plaidoyer a été récupéré par les organisations de la société civile. L’an passé, l’actuel président, Félix Antoine Tshisekedi l’a aussi soutenu quand il a invité la communauté internationale à soutenir son pays dans un processus de justice transitionnelle après deux grandes guerres que la RDC a connues depuis 1996. La justice transitionnelle est un concept en vogues dans les milieux des activistes de la pacification de l’Est congolais. Elle a fait parler d’elle encore en mai dernier, lorsque les congolais se sont largement indignés à la suite des propos polémiques du chef de l’Etat rwandais qui a rejeté depuis Paris l’application du rapport Mapping et suspecté l’instrumentalisation du docteur Denis Mukwege qui plaide pour la justice transitionnelle.
Justice transitionnelle, une issue réparatrice ?
‘’La justice transitionnelle, c’est un ensemble des mesures judiciaires et non-judiciaires permettant de remédier au lourd héritage des abus des droits humains dans des sociétés qui sortent d’un conflit armé’’, définit Karpates Tulinabo, juriste et président de la nouvelle société civile au Nord-Kivu.
Il vient de participer ce mardi 3 Août 2021, à Goma, à un atelier du ministère des droits humains avec le bureau conjoint de l’Onu aux droits de l’homme (BCNUDH), sur la justice transitionnelle. Sa définition est reprise par maitre Adolph Kilomba, procureur au barreau de Bukavu, au Sud-Kivu, interrogé par le magazine « Maoni Yako » de l’Ong ‘LaBenevolencija’. Celui-ci explique que la justice transitionnelle est fondée sur 5 piliers : le droit à la vérité, les poursuites pénales, l’amnistie, la réparation et la garantie de non répétition.
Le droit ou rétablissement de la vérité c’est en faveur des victimes de la guerre, qui doivent en savoir les circonstances, explique le procureur. Les poursuites pénales visent les auteurs des crimes commis durant la guerre, poursuit-il.
Par rapport à l’amnistie, elle consiste à innocenter certains car l’on ne peut pas arrêter tout le monde, explique Maitre Adolphe Kilomba. Il ajoute que ce pardon consiste également dans la grâce présidentielle et la libération conditionnelle. Après l’amnistie vient la réparation des victimes qui peut être individuelle ou collective, fait savoir le procureur.
‘’Le gouvernement peut par exemple baptiser une rue en mémoire des victimes des Makobola’’, dit-il.
La garantie de non répétition est un pilier très important. Le procureur explique qu’à ce niveau le gouvernement assure la population que les crimes commis ne pourront plus se répéter.
‘’Cela passe par des reformes, on écarte les auteurs des crimes de l’armée, des services de renseignements, etc., pour que les citoyens refassent confiance aux autorités’’, fait-il savoir.
La justice transitionnelle, une garantie pour la paix ?
C’est ce qui fait que les activistes de la société civile se battent aux côtés du prix Nobel congolais de la paix, le docteur Denis Mukwege, laisse entendre Karpates Tulinabo qui est également coordonateur de l’Ong des droits de l’homme ‘ADEC DDH’.
‘’Vous avez vu de 2003 à 2006, la façon dont il y’a eu mixage, les belligérants se sont retrouvés à Sun-city,… mais au lieu que nous ayons la paix au contraire il y’avait récidivismes. En 2006, vous avez vu la rébellion du CNDP, le M23, tout ça car il y’avait l’impunité. Ce sont toujours les mêmes acteurs, les Laurent Nkunda, je ne sais pas les Bosco Ntaganda qui commettaient les exactions sur des civils. Mais avec cette justice transitionnelle, nous pouvons accéder à la paix, parce que tous ceux-là qui ont commis des exactions seront punis et les victimes auront réparation’’, explique-t-il.
La justice transitionnelle pourra résoudre efficacement la question de l’insécurité dans l’Est surtout si elle prend en compte tous les crimes commis avant et après 2003, estime la société civile, forces vives, du Nord-Kivu.
‘’Souvenez-vous des massacres de Kisangani et Makobola, je crois que si l’on décide d’ignorer ces crimes-là, ça ne peut pas marcher’’, souligne Etienne Kambale, team-leader de la thématique « Bonne gouvernance » de la société civile du Nord-Kivu.
Secrétaire national de la justice transitionnelle, Raphael Wakenge conclut que les victimes de tous les crimes ont beaucoup d’attentes de ce processus que la RDC attend entamer.
‘‘Le fait d’avoir un président favorable à la justice transitionnelle est une opportunité…avant, ce qui nous a retardé dans ce processus c’est d’avoir été dans un régime qui comptait certains auteurs des crimes passés. Nous devons savoir aujourd’hui ce qui s’est passé, ce qui se passe et où l’on va, pour ne pas avoir des arriérées à régler dans la gestion de notre pays. Nous pouvons ainsi espérer aller de l’avant’’, déclare-t-il.
Par Frédéric Feruzi
0 Comments